• 4ème Congrès SF-DOHAD

    Grenoble 8 et 9 novembre 2018

  • LES 1000 jours !!

L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD)

 

L’initiative des 1000 jours de l’OMS
et l’origine développementale de la santé et des maladies
(DOHaD)

 

Pr Claudine Junien et Pr Umberto Simeoni
Présidente et vice-président de la SF-DOHaD

 

« Les chercheurs ont une obligation d’évaluer les risques, de dire quelle part du risque est éventuellement maîtrisable et par quels moyens, et d’informer leurs concitoyens quand ils jugent qu’on a passé le seuil au-delà duquel douter de la réalité du risque devient moins raisonnable que de le prendre au sérieux. Il revient ensuite aux décideurs de prendre leurs responsabilités » (Anne Fagot-Larjeault, Philosophe et Psychiatre, Le Monde).

 

Il y a maintenant plus d’une trentaine d’années, naissait la notion de DOHaD…     

 

C’est au cours des années 80 que l’épidémiologiste britannique David Barker (1932-2013) montrait que le risque de décès par maladie coronarienne à l’âge adulte, etait corrélé au poids du sujet à sa naissance, et ce, beaucoup plus qu’à tous les autres facteurs de risque comportementaux connus à l’âge adulte. Il s’agissait là du premier lien établi entre une adversité dès les premières phases de la vie et un cercle vicieux de propagation d’un risque à l’age adulte, voire, comme on le sait maintenant, d’une transmission aux générations suivantes.

 

Depuis, de nombreux autres chercheurs ont largement confirmé ce concept de la programmation au cours du développement du risque de maladie chronique à l’âge adulte. Les études épidémiologiques chez l’homme et les modèles expérimentaux chez l’animal ont apporté de nouvelles preuves selon lesquelles les facteurs environnementaux tels que ce que nous respirons, mangeons et buvons, notre activité physique, notre stress, nos relations psychoaffectives, notre niveau socioéconomique, peuvent avoir un impact sur notre santé et peuvent aussi se répercuter sur celle de nos futurs enfants, voire petits-enfants. Cette possibilité concerne la future mère comme le futur père.

 

La dénomination officielle de ce concept - connu successivement sous différents termes, celui de “fetal programming” ou “théorie de Barker”, ou « developmental programming -correspond donc maintenant aux «origines développementales de la santé et des maladies » (Developmental Origins of Health and Diseases ou DOHaD).

 

De nombreuses études épidémiologiques chez l’homme et expérimentales chez l’animal ont montré le rôle crucial de l’environnement au cours des périodes de développement. Pendant ces périodes la plasticité du génome en réponse à l’environnement permet de façonner les tissus, les organes et de conferrer au fœtus, à l’enfant un capital fonctionnel plus ou moins bon,

 

Plus tard, au cours de la vie le capital fonctionnel décroit avec l’age et sous l’influence d’un environnement plus ou moins favorable augmentant la charge allostatique et aboutissant plus ou moins tôt à l’apparition des symptômes de la maladie

 

Les premières périodes de la vie, depuis l’environnement péri-conceptionnel et la grossesse, jusqu’à la fin de la première enfance (les « 1000 premiers jours », selon le motto adopté par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), élargi plus récemment à l’adolescence, constituent une fenêtre unique de sensibilité au cours de laquelle l’environnement sous toutes ses formes qu’il soit nutritionnel, écologique, socio-économique et les modes de vie créent des marques sur le génome, programmant la santé et le risque futur de maladie d’un individu pour la vie. Une susceptibilité ou une résistance à développer, plus tard, l’ensemble des maladies chroniques non transmissibles de l’adulte peut ainsi se créer, au gré des évolutions du contexte, notamment nutritionnel.

 

L’inéluctable explosion des maladies chroniques

 

En effet les maladies chroniques (hypertension artérielle, obésité, diabète, cancers, allergies…) explosent à travers le monde : 60% des décès, 35 millions de morts par an dont 80 % dans les pays à faible ou moyen revenu. L’OMS, prévoyant une augmentation de 17% pour la prochaine décennie a lancé l’initiative des “1000 jours”. (http://www.thousanddays.org/)

 

Aucun système de santé ne pourra faire face.

 

Et pourtant, aujourd’hui, les approches pour lutter contre ce fléau s’avèrent impuissantes, du fait de certaines limites et incohérences, comme le souligne Mark Hanson, président de la DOHaD internationale : - « Jusqu’à présent on s’est adressé uniquement aux malades avec une efficacité décevante. - On rend les individus responsables de ce qu’ils consomment et de leur manque d’exercice, on les accuse de « gourmandise » et de « paresse » - La part de la génétique est surestimée, le génotype ne rend compte que de moins d’un tiers de la variabilité à la naissance, la majeure partie étant attribuable à des interactions gènes-environnement, assurées par l’épigénétique - On accuse l’environnement, pléthorique, obésogène ou polluant, - On ne voit que ses côtés potentiellement délétères, - La vindicte populaire, médiatique et politique rend responsable l’industrie agroalimentaire ».

 

Le principe de la DOHaD et des mécanismes épigénétiques sous-jacents montre qu’il est aujourd’hui possible de corriger ces chiffres alarmants et d’envisager une prévention efficaceà condition d’intervenir tôt en agissant sur le risque et non pas quand la maladie est déjà apparue !

 

Comprendre des phénomènes restés jusqu’alors inexpliqués

 

Les exemples foisonnent : depuis les conséquences en termes de santé de la famine de Hollande (1945) subie par la grandmère pendant la grossesse sur la première puis la deuxième génération ; en Suède, les effets de l’alimentation du grandpère pendant la période prépubertaire sur le risque de diabète du petit-fils; lors du 11 Septembre 2001, les effets sur le stress d’enfants in utero ; sur une variété de modèles animaux, la sensibilité au stress en fonction de l’attention de la mère en période néonatale ou encore comment des expériences olfactives des parents confèrent aux générations suivantes la « peur innée du prédateur ». une mémoire influençant la structure neuronale et les comportements. Mais c’est surtout grâce à la démonstration des mécanismes épigénétiques en jeu que l’on peut maintenant commencer à comprendre comment les facteurs environnementaux agissent.

 

Contrairement à la théorie de l’évolution selon Darwin qui prévoyait, pour les espèces, une très lente évolution, passant par des mutations dans le génome lui-même, le concept de l’origine développementale permet une évolution, une adaptation rapide, en une seule génération et qui peut perdurer sans changer la séquence de l’ADN, uniquement avec le changement de quelques marques épigénétiques. C’est aussi en cela que la “DOHaD” est un concept révolutionnaire qui permet de comprendre des phénomènes restés jusqu’alors inexpliqués.

 

Un changement de paradigme s’impose :

 

Il doit amener un nouveau regard sur la portée et l'intérêt d’une prévention primaire.

 

La “DOHaD” est une approche révolutionnaire car transversale de la santé et donc surtout de la médecine et de la recherche. La science avance et tous les jours de plus en plus de liens entre des événements précoces et la santé à l’age adulte apparaissent. Ce nouveau concept confirmé par de nombreuses études humaines et expérimentales, propose de nouvelles approches, un regard nouveau pour la santé globale, la prévention des maladies chroniques et l'optimisation du capital santé des enfants et des générations à venir.

 

C’est donc dans le cadre de ce nouveau paradigme, en agissant auprès des jeunes adultes en âge de procréer, des mères pendant la grossesse et au cours de la toute première enfance, que semble pouvoir réellement porter ses fruits une politique de prévention, plutôt qu’en agissant uniquement sur les adultes, souvent déjà atteints par les maladies chroniques non transmissibles ou leurs facteurs de risque. Rompre cette réaction en chaîne, amplifiée ainsi au cours de et par les processus fondamentaux de la reproduction, est désormais l’enjeu.

 


L’épigénétique constitue une passerelle entre l’environnement et le génome

 

Les mécanismes de la DOHaD reposent sur des bases moléculaires complexes, comme celles de l’épigénétique qui module l’expression des gènes sans changer leur séquence. En effet, si toutes nos cellules contiennent les mêmes gènes, tous ne s’expriment pas nécessairement. C’est précisément ici qu’intervient l’épigénétique.

 

L'ensemble des marques épigénétiques, activatrices et inhibitrices, d'une cellule constitue son « épigénome » qui la différencie des autres cellules de l'organisme avec lesquelles elle partage pourtant le même patrimoine génétique. Les modifications dans l’expression des gènes, en permettant un état « ouvert » ou « fermé » de la chromatine. sont transmissibles au cours des divisions cellulaires.

 

Deux métaphores sont souvent avancées pour illustrer ce phénomène. La génétique serait comparable à l’écriture d’un livre et l’épigénétique à l’interprétation qu’en fait le lecteur. Ou encore, si l’ADN est le «disque dur», l’épigénétique est le «logiciel» qui dicte aux gènes leur comportement.

 

Les marques épigénétiques sont malléables et par conséquent sensibles aux variations de l’environnement intrinsèque ou extrinsèque. Un facteur environnemental (en quantité ou en qualité, durée, moment…) peut perturber les modifications épigénétiques et entraîner des écarts dans la programmation dont les effets peuvent être immédiats et/ou seulement à long terme. Elles varient en fonction du déroulement de la vie, de l’âge, du sexe, du tissu, etc… En permettant l’archivage des impacts environnementaux, l’épigénétique constitue un point d’articulation essentiel entre l’environnement et les gènes.Il est maintenant clairement admis que l’épigénétique « archive » les effets de l’environnement, pour le meilleur ou pour le pire. Comme les marques épigénétiques n’entraînent pas de modification dans la séquence de l’ADN et sont, par nature, flexibles, elles sont, en principe, réversibles. Toutefois, les conséquences de modifications liées à l’environnement, lorsqu’elles interviennent à certaines étapes clés du développement, peuvent être irréversibles. Elles peuvent, par exemple, entraîner un nombre insuffisant de néphrons ou de cellules beta du pancréas conférant un risque accru de développer une hypertension ou un diabète.

 

Une recherche transversale et multidisciplinaire

 

Lors du dernier colloque mondial de la société DOHaD Internationale qui réunissait plus de 1000 chercheurs à Singapour (17-24 Novembre 2013), des données très récentes basées sur des études de polymorphismes de l’ADN et de méthylation de l’ADN sur 3 ethnies différentes montrent que la part de la variabilité entre des nouveaux-nés que l’on peut attribuer à la génétique représente moins de 30% (J Holbrook). En revanche la grande majorité de la variabilité s’explique par des interactions gène-environnement.

 

Contrairement aux mutations génétiques qui sont irréversibles, les marques épigénétiques sont malléables. La mise en évidence de telles marques permettra la prise en charge bien avant l’apparition des symptômes. Agir sur ces marques épigénétiques pour préserver la santé future de l’enfant est donc une voie praticable au bout de laquelle s’ouvrira un champ immense de perspectives.

 

Pour évaluer les risques et mieux les maîtriser, les chercheurs et les pouvoirs publics ont besoin de données basées sur des évidences scientifiques validées. Ces avancées permettront alors de proposer de nouveaux marqueurs de risque, de nouvelles actions de prévention précoces et une information adéquate du public.

 

Pour le moment, sur les 130 000 articles publiés à ce jour en « developmental programming », environ 900 (0,7%) s’adressent aux facteurs épigénétiques sous-jacents. Toutefois, les mécanismes épigénétiques sont complexes et un effort de recherche à la hauteur de l’enjeu est nécessaire pour mieux les comprendre.

 

Les recherches qui rassemblent un nombre croissant d’équipes à travers le monde se sont attelées à comprendre des questions clés, qui conditionnent l’avenir « durable » de l’humanité :

 

- Quelles marques épigénétiques apposées au cours de fenêtres cruciales du développement, sont capables de se souvenir d’effets traumatisants, d’en porter la mémoire en véhiculant les impacts précoces de l’environnement tout au long de la vie et voire même vers les générations suivantes.

 

- Comment  les facteurs environnementaux agissent-ils?

 

- A quel(s) moment(s), au cours de quelle(s) fenêtre(s) développementale(s) ont-ils un impact ?

 

- Comment les marques épigénétiques archivent-elles ces impacts de l’environnement ?

 

- De manière, transitoire ou pérenne ?

 

- Quelles sont les bases de la spécificité  de ces marques, en fonction du tissu, du sexe, de l’age?

 

- Quelles sont les conditions de la réversibilité de certaines marques épigénétiques?

 

- Comment une nutrition et un style de vie appropriés peuvent compenser les effets délétères d’une mauvaise programmation au cours du développement et stopper le cercle vicieux,

 

- Comment, une fois ces notions connues, comprises et acceptées, un individu peut-il enclencher les mécanismes du « passage à l’acte » et changer son comportement, en appliquant les bonnes recommandations; il s’agit d’un axe de recherche crucial en sciences humaines et sociales, mais encore très peu exploré.

 

L’impact médico-socio-économique d’une approche DOHaD

 

Si la recherche doit s'intensifier pour mieux comprendre les mécanismes, l’épigénétique qui sous-tend cette « programmation », les fenêtres et les meilleures stratégies à mettre en œuvre, on dispose néanmoins de suffisamment de données (130 000 publications) pour agir dès aujourd'hui, sans attendre, et le plus précocement possible. Une telle démarche doit s’appuyer sur une action structurée de politique de santé auprès du public, par une communication vers les professionnels de santé, le grand public mais aussi les décideurs, en vue de l’acquisition d’une nouvelle litéracie en termes de santé pour tous.

 

De nombreuses initiatives internationales portent sur le développement durable de la planète. Il s’agit bien ici, à travers l’application spécifiquement au cours de la période sensible du développement pré- et périnatal, et non pas seulement à l’âge adulte, d’une politique de santé portant sur la nutrition, les modes de vie, l’environnement, de favoriser ce qui peut être appelé « le développement durable de l’humain ».

 

Cette démarche doit aussi s’accompagner de la mise en œuvre d’une évaluation en termes de coût-bénéfice des découvertes scientifiques et médicales récentes susceptibles d’être ensuite appliquées à d’autres pays.

 

Il s’agit de structurer prospectivement et de façon coordonnée, un ensemble d’actions de santé publique visant à appliquer tôt dans la vie, les concepts d’une nutrition, d’un mode de vie et d’un environnement sains de façon à ce que tous atteignent dans les meilleures conditions la période au cours de laquelle ils formuleront un projet d’enfant. Ceci, de façon à minimiser l’établissement au cours de cette période clé de marques épigénétiques susceptibles d’induire une programmation physiologique altérée, et à préparer la bonne santé de la génération suivante ; alors que la chaîne de la reproduction, et son effet amplificateur, tend actuellement au contraire à amplifier la pandémie de maladies chroniques à l’âge adulte.

 

Les actions, orientées à moyen et long terme, doivent reposer principalement sur :

 

- une information et une éducation de la population générale avec les moyens modernes de la communication médiatique, à la pratique d’une nutrition saine, d’un mode de vie sain, en renforçant l’information destinée aux personnes en âge de procréer, incluant la promotion de l’allaitement maternel,

 

- une éducation précoce avec de nouveaux outils pédagogiques des enfants en milieu scolaire dans le même sens,

 

- des mesures sociales de prise en charge précoce qui ont révélé, au Canada, toute leur efficacité pour les sujets à faible statut socioéconomique

 

- des mesures expérimentales de coaching individuel pour les personnes volontaires,

 

- les mesures politiques prises aux fins d’établir un environnement de vie saine à la communauté

 

- l’application de cette connaissance et de cette approche au sein des structures de Centres Hospitaliers consacrés à la grossesse et la naissance, incluant un programme de formation spécifique des professionnels.

 

Grâce aux nombreuses études tant chez l’Homme que chez l’animal sur ce qui se passe pendant ces 1000 premiers jours, une véritable prévention de nombreuses maladies chroniques de l’adulte est envisageable sans attendre: Un ensemble de mesures concernent en particulier l’alimentation, la protection contre les substances toxiques, l’apprentissage de la parentalité, le soutien psychologique et matériel dans les situations de détresse. Elles cibleront les jeunes en âge de précréer, les femmes enceintes et les jeunes parents pendant cette période cruciale des 1000 jours pour optimiser le capital santé de l’enfant et assurer son avenir en prenant un bon départ dans la vie.

 

Ce nouveau paradigme de la DOHaD vise à convaincre et contourner les obstacles que sont le poids de considérations idéologiques et culturelles, la peur des responsabilités, ou les habitudes alimentaires, les mythes et les présomptions concernant l’obésité que les médias et le public continuent de véhiculer.

 

Nous voulons donner à tous le bon mode d’emploi de la DOHaD: en prenant conscience du poids de la DOHaD sur nos existences et celles de nos enfants, à tous les stades de la vie et sur plusieurs générations: Nous voulons, en tant que parents, mais aussi, en tant que chercheurs, professionnels de santé, aller même au delà de la simple prévention : mieux armer nos enfants pour qu’ils réagissent positivement à leur environnement, qu’ils se prennent en main et soient capables de meilleures performances.

 

Le lancement par l’OMS de l’initiative des “1000 premiers jours”, appuyée sur les taux attendus de retour sur investissement, des études expérimentales et de nouvelles initiatives aux US et en Europe représente un changement prometteur vers un investissement pendant une période cruciale, celle de la vie anténatale et des deux premières années de vie, pour l’avenir d’un enfant. .

 

Mais qui a entendu parler de cette notion de DOHaD?? L’origine développementale de la santé et des maladies, des 1000 jours ?.

 

- Cette notion est encore ignorée de la grande majorité

 

- Il existe un fossé considérable entre les connaissances des scientifiques et celles du consommateur.

 

- Nous avons conscience des obstacles et des réticences à vaincre pour faire accepter cette notion de DOHaD. Certains viennent même de la communauté scientifique et représentent un frein à l’action des politiques.

 

 

Connexion